Dakar: L’Arabie saoudite sur les traces sportives du Qatar

Dakar rally manager of the road book Pablo Eli and sports coordinator Edo Mossi drive on October 18, 2019 in Saudi Arabia during the recce for the next Dakar 2020 that will kick off on January 5 in Jeddah and will run untill January 17. (Photo by FRANCK FIFE / AFP)

En avril dernier, l’Arabie saoudite a hérité de l’accueil du célèbre Dakar, une première historique pour le royaume. L’obtention de cet événement sportif, largement suivi au niveau mondial, montre la volonté des Saoudiens de se positionner sur la scène internationale sportive. Et de suivre les pas du Qatar, voire de se lancer dans une petite concurrence avec son voisin ennemi.

Depuis quelques années, l’Arabie Saoudite montre de plus en plus son intérêt pour le sport. Le royaume ultraconservateur du prince Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, a déjà accueilli la finale de la Super série de boxe en catégorie super-moyens en septembre 2018, organise depuis cette même année une course de Formule 1 Électrique, a reçu la Supercoupe d’Italie en janvier 2019, et du 5 au 17 janvier, ce sera au tour du Dakar. Une révolution culturelle pour ce pays longtemps replié sur lui-même.

Le virage pris par l’Arabie saoudite s’explique tout d’abord par une logique nationale et purement économique. « L’Arabie saoudite dispose de ressources énergétiques très importantes mais dont on sait qu’elles vont se tarir dans les prochaines décennies », explique Carole Gomez, chercheuse à l’Iris, spécialisée sur l’impact du sport dans les relations internationales. L’Arabie saoudite n’avait pas vraiment saisi au début des années 2000 l’impact que pouvait avoir l’organisation d’une compétition sportive. Toutefois, l’arrivée de MBS au pouvoir a été synonyme de changement de politique. Ainsi pour palier à cette décroissance annoncée, Mohammed ben Salmane a mis en place sa feuille de route, appelée Vision 2030, ayant pour objectif de diversifier son économie et trouver de nouvelles retombées économiques. Le sport, parfaitement compatible avec les objectifs du royaume, a ainsi permis d’offrir certaines solutions aux Saoudiens.

Son positionnement dans le sport participe aussi à une stratégie d’affichage sur la scène internationale consistant à redorer l’image du pays, alors que celui-ci est souvent cité pour ses atteintes aux droits de l’Homme et sa ségrégation des sexes. « Tous les éléments de communication pour la nouvelle édition du Dakar insiste largement sur la diversité et la beauté des paysages. Des éléments de communication afin de présenter l’Arabie saoudite sous un nouveau jour », analyse la spécialiste de la géopolitique du sport.

Jouer sur le terrain de jeu du Qatar
L’Arabie saoudite a aussi observé, à distance, ses voisins – le Qatar et les Emirats arabes unis (EAU) – se saisir de la diplomatie sportive. « Cette présence dans le domaine du sport leur a permis de bénéficier d’une affluence croissante, pas simplement sur la scène sportive mais plus largement sur la scène internationale, en matière politique, économique, diplomatique. Il y avait donc la volonté de l’Arabie saoudite de se positionner sur ce sujet, alors même qu’elle avait refusé jusqu’à présent, ne voyant pas d’intérêt », poursuit Carole Gomez.

L’accueil du Dakar en désert saoudien permettrait ainsi à Riyad de rattraper son voisin, le Qatar. Celui-ci est déjà largement implanté sur la scène du sport mondial notamment après l’accueil des mondiaux d’athlétisme à l’automne, de handball en 2015 et de cyclisme en 2016 avant d’être le pays hôte de la Coupe du monde de football en 2022 et des championnats du monde de natation en 2023. Sans parler du rachat du PSG en 2011. En moins de deux décennies, il aura accueilli les principaux événements sportifs. « Aujourd’hui, le Qatar est internationalement connu, ce qui n’était pas forcément le cas il y a une quinzaine d’années, sauf si vous étiez spécialiste de l’énergie ou de la péninsule arabique. Aujourd’hui, grâce aux sports, il est difficile de ne pas connaître ou de ne pas en avoir entendu parler », ajoute la spécialiste en géopolitique du sport.

Dans un contexte régional complexe, notamment avec des tensions très fortes avec le Qatar dont les relations diplomatiques sont rompues depuis plus de deux ans, « le fait de s’inscrire dans cette logique, et d’accueillir de nouvelles compétitions qui n’avaient pas été accueillies jusqu’alors, est pour eux un moyen de concurrencer le Qatar. »

Le Dakar, le joli coup de Riyad
« Riyad a indéniablement réalisé un grand coup avec l’obtention du Dakar. La couverture de l’événement permet de bénéficier d’une vraie publicité sur le long terme », souligne Carole Gomez. Pendant 12 jours, l’attention est vraiment focalisée sur le pays de manière quasi continue. » A la différence du Qatar, qui a clairement communiqué sur sa stratégie diplomatique sportive, l’Arabie Saoudite n’a, elle, pas de ligne claire, hormis la feuille de route Vision 2030.

Ce qui est certain en revanche, c’est l’ouverture du pays vers l’extérieur. « Le Dakar est un grand événement, et je pense que c’est une première étape qui va en amener d’autres. L’ouverture régionale est compliquée, mais c’est pour cela que les Saoudiens ont cette volonté d’aller chercher des sports tels que le golf, le tennis, la Supercoupe d’Italie et de s’ouvrir à d’autres milieux », conclut Carole Gomez.

Apolline Merle – France TV,

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