Les spectateurs gersois ont le bonheur d’assister depuis 1994 aux courses du Championnat d’Europe des camions. Les fans sont friands des bagarres entre ces bahuts de haute technologie. Mais, que ressent-on à l’intérieur d’un mastodonte de cinq tonnes, lancé à toute berzingue sur le circuit Paul Armagnac ?
Pour le savoir, rendez-vous dans la voie des stands, à l’emplacement du camion MAN #10. Avant de littéralement grimper dans l’habitacle (merci au mécanicien et à son escabeau !), le sac de sable humain d’Ellen Lohr se demande à quelle sauce il va être mangé. La pilote Allemande n’est pas réputée pour sa douceur avec l’accélérateur ! Ancienne habituée du Dakar, elle a remporté une course de DTM (Championnat de voitures de tourisme allemand) en 1992 au nez et à la barbe du Champion de F1 Keke Rosberg, un exploit qu’aucune autre femme n’a su rééditer depuis.
Une fois solidement harnaché, essayons d’apprivoiser cet environnement assez hostile. Bardée d’électronique, la cabine n’est pas aussi confortable qu’un poids lourd ! Des tubes en acier parcourent l’habitacle pour protéger les occupants. Sur l’imposante console centrale brut de fonderie, on trouve un écran plat, indiquant la vitesse instantanée (bridée à 160 km/h), le couple, la température des freins (refroidis par injection d’eau) et diverses autres données. Pardonnez cette description sommaire, mais les virages défilent de manière surprenante ! Avec Ellen, pas de round d’observation : ça accélère fort, et ça freine encore plus efficacement ! Le corps est ballotté au rythme des courbes, mais pas que. La moindre aspérité présente sur la piste est ressentie par notre postérieur, qui n’avait rien demandé pour subir un tel traitement…
Tandis que le prochain virage approche (très) vite, il faut anticiper la trajectoire de ce mastodonte endiablé en regardant par la vitre extérieure. Et ça marche ! Le baptême devient instantanément plus agréable. Ellen doit certainement entendre les rires nerveux du passager, car son MAN part en une généreuse glissade ! Puis, les 1 200 chevaux sont tellement efficaces que le moteur est au rupteur dans ligne droite opposée. Notre invité doit se préparer pour le freinage à l’épingle. Pourtant, le panneau des 200 mètres est passé à fond… D’accord, alors voyons le ‘150’ ? Finalement tout le poids embarqué (le passager y compris) est comprimé vers l’avant : c’est ce qu’on appelle un plantage de freins en règle !
Lors de notre second tour de manège, de grosses gouttes de pluie s’écrasent sur le pare-brise. Ellen s’excuse presque mais doit ralentir le rythme. Son camion n’est pas réglée pour route humide : n’allons pas tenter le diable ! C’est le calme après la fureur mécanique.
Avant de rentrer aux stands, l’allure de sénatrice adoptée par la conductrice nous permet de mieux sentir ce mélange d’effluves raffinées. Odeurs de gasoil, d’huile, de freins, et de gommes chauffées : bref, ça sent bon la course !
Le visage rougi par la compression du casque, le partenaire éphémère d’Ellen Lohr essaye de se remettre de ses émotions en écrivant ces lignes. Le baptême était certes dépaysant, mais il a permis de voir le talent de ces pilotes. Aller vite c’est une chose, mais manier cet engin sur un tel circuit, tout en regardant son tableau de bord et les rétroviseurs en course, relève de la prouesse !
Medhi Casaurang-Vergez,